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Mov Sport Sci/Sci Mot
Number 96, 2017
Genre, corps, et sports
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Page(s) | 1 - 4 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/sm/2017021 | |
Published online | 04 December 2017 |
Editorial
Numéro spécial : Genre, corps et sports
Special issue: Gender, body and sports
1
Laboratoire Epsylon (EA 4556, Dynamique des Capacités Humaines et des Conduites de Santé), Université de Montpellier,
Montpellier, France
2
Laboratoire LIRTES (EA 7313, Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les Transformations des pratiques Éducatives et Sociales), Université Paris Est Créteil,
Paris, France
* Auteur correspondant : julie.boiche@umontpellier.fr
Accepté : 19 Octobre 2017
Éditorial
Ce numéro spécial réunit huit articles présentant des recherches issues de différentes disciplines (sociologie, psychologie sociale, psychologie cognitive) visant à éclairer les problématiques du genre dans le contexte des pratiques physiques et sportives. Une attention particulière est portée au corps et à l'apparence physique.
Ce numéro s'inscrit dans un contexte où les théories et travaux sur le genre sont progressivement entrés dans le vocabulaire courant, jusqu'à s'inviter récemment dans le débat public. Pourtant, certains auteurs, tels Butler, Fassin, et Scott (2007), considèrent que le pouvoir critique du terme « genre » et, par extension des études de genre, s'est perdu ; le concept se serait progressivement dilué, en limitant trop souvent cette acception à la différence femmes/hommes. De là débouchent des analyses portant principalement sur les rapports de domination, mais excluant tout à la fois la dimension politique à l'origine du concept, les combats des féministes et, plus encore, la dissonance entre le genre (féminin/masculin) et le sexe (femme/homme).
Aussi, garder l'ancrage historique de ce concept chaque fois qu'un nouveau terrain est investi constitue un enjeu fondamental. Rien ne doit faire oublier qu'à l'origine, les Gender Studies ont métamorphosé l'étude des relations entre femmes et hommes, partant du postulat que la différence de sexe est une construction sociale totalement orientée.
La chose n'est pas nouvelle. Rappelons que la loi salique, édictée entre le IVe et le VIe siècle, a permis de justifier au XIVe siècle l'interdiction faite aux femmes de succéder au trône de France. Remontant, plus loin encore, constatons simplement que le « sport grec » était réservé aux meilleurs (Ariston), aux bien-nés (Eleutherion), ceux qui sont dotés de vertus physiques et morales mais uniquement parmi les hommes. Dès son origine, le « sport » est donc bien pratique de distinction et d'exclusion. Il participe à garantir une forme spécifique d'ordre social, mais un ordre social inégalitaire et voulu comme tel (Bodin & Debarbieux, 2001, p. 15).
Dans une perspective plus contemporaine, les travaux de Mead (1935) au travers du terme de « rôle sexué » ont distingué, pour la première fois, sexe et rôle social, sexe et rôle social attribué, sexe et rôle social sexuellement distincts. S'en suivront nombre de formules célèbres, posant le décor d'une construction sociale tout à la fois objective et subjective dont la finalité vise la ségrégation des rôles, leurs reproductions, mais aussi la domination des femmes par les hommes dont l'éducation au sein des familles témoigne. Le concept de genre sera retenu par les féministes, à partir du début des années 1970, dans une perspective critique de la construction sociale des rapports inter-sexes, mais aussi des sociétés contemporaines et de leurs institutions.
À cette période, des travaux comme ceux de Metheny (1965) commencent à interroger le caractère genré de certaines activités : si le sport reste un domaine masculin, n'existe-t-il pas un espace réservé aux femmes, des pratiques socialement perçues comme plus en phase avec leurs attributs supposés, comme la grâce ou la souplesse ? Plus de cinquante ans plus tard, si les inégalités de pratique sportive tendent à s'estomper, certains constats sur la domination masculine et sur une hiérarchie des genres demeurent.
C'est bien cette perspective qui est adoptée dans ce numéro spécial de Movement and Sport Sciences – Science et motricité. Les liaisons entre corps, pratiques et identités sont questionnées et analysées à partir de textes aux entrées distinctes, mais qui en creux, examinent au travers des pratiques corporelles et/ou sportives des rapports de genre.
Plus particulièrement, si la première partie du numéro présente les résultats de travaux s'appuyant sur des méthodologies déclaratives telles que les entretiens ou les questionnaires auto-rapportées, la deuxième partie s'inscrit dans une démarche visant à capturer des processus plus automatiques, ce qui nécessite des mesures moins directes, via une induction expérimentale, ou des tâches informatisées. En d'autres termes, la première partie est composée d'articles qui portent sur les croyances, représentations, stéréotypes, normes, etc. liés au genre, tels qu'ils peuvent être présents dans le discours ou les réponses explicites fournies par les individus – en particulier les femmes – tandis que la deuxième partie se penche sur des influences pouvant opérer plus ou moins hors de leur champ de conscience (i.e., implicitement) sur leur comportement. L'ensemble présente donc un bon panorama des méthodes d'étude des questions relatives au genre.
Les deux premiers articles présentent les résultats d'études qualitatives ayant pu être réalisées après une période d'immersion au sein de structures sportives. Tout d'abord, Jarthon et Durand se sont penchés sur le sens que revêt pour les femmes la pratique du fitness en salle, au cours de l'avancée en âge. Des entretiens semi-directifs réalisés, il ressort que le vieillissement est conçu à plusieurs titres comme une contre-production de la féminité du point de vue corporel ; mais également que ces pratiquantes voient au travers de leur activité, différentes façons de gérer leur patrimoine physique familial.
Ensuite, Cholley-Gomez et Perera se sont intéressés à la pratique féminine du culturisme. Les entretiens semi-directifs menés ont permis de mettre en évidence les enjeux identitaires de cette pratique, notamment en lien avec l'évolution de leur corps. Ce travail est complété par une étude quantitative indiquant que les femmes culturistes, présentent sur le plan du genre psychologique, un niveau de féminité comparable, mais un niveau de masculinité supérieur à des femmes non culturistes.
Concernant le corps et la féminité justement, Loegel, Courrèges, Morizot et Fontayne se sont interrogés au travers de deux études sur les représentations sociales du maquillage, un attribut classiquement conçu comme apanage de la féminité, parfois utilisé par les sportives pour maintenir leur identité de femme. Leurs recherches confirment la centralité du féminin dans les représentations de ce concept, tout en soulignant certaines différences qui existent entre hommes et femmes à cet égard.
Ruchaud, Chalabaev et Fontayne ont quant à eux mis en évidence que le domaine sportif est porteur d'une asymétrie cognitive, i.e., des personnes sportives tendent à être de façon générale caractérisées comme très masculines, tandis que le degré de féminité semble varier selon la nature de l'activité pratiquée, les sports pouvant être perçus comme féminins, neutres, ou masculins.
Millan et Moliner ont précisément investigué les déterminants psychologiques de la réussite en football féminin, autrement dit dans le contexte d'une pratique contre-stéréotypique. Ils observent que les pratiquantes de haut niveau se distinguent par des niveaux plus élevés de stéréotypes défavorables aux femmes, mais également des niveaux plus élevés d'habileté perçue, qui semblent associés à un trait d'instrumentalité (dimension du genre psychologique conçue comme masculine) plus important.
La deuxième partie du numéro aborde des travaux réalisés selon une approche automatique des cognitions liées au genre : dans une telle approche, certaines associations auraient été enregistrées en mémoire chez l'individu, rendant ses réactions partiellement indépendantes de son champ de conscience et de ses intentions.
Chalabaev propose ainsi une revue de littérature sur le paradigme de la menace du stéréotype. Six études menées sur des sports socialement perçus comme neutres ou masculins démontrent que l'activation d'un stéréotype défavorable aux femmes est suffisant pour les faire réaliser de moins bonnes performances ; l'article propose également un éclairage sur les mécanismes explicatifs de ce phénomène.
Plaza et Boiché présentent enfin les résultats de deux études ayant examiné les déterminants de l'abandon sportif. Une première étude rétrospective a mis en évidence que les adolescents ayant abandonné leur pratique sportive présentent des niveaux de stéréotypes explicites pro-masculins significativement supérieurs, mais qu'ils ne seraient pas caractérisés par des niveaux particulièrement élevés de stéréotypes implicites, mesurés par un test d'association implicite (IAT). Une seconde étude prospective conduite sur un an, tend à confirmer ces résultats, et nous renseigne également sur les niveaux de stéréotypes et les perceptions de soi selon le typage sexué des activités pratiquées.
Editorial
This special issue gathers eight articles presenting research realized in various disciplines (sociology, social psychology, cognitive psychology) and aiming at shedding light on the issue of gender in the context of sports and physical activity, with a particular focus on body and physical appearance.
This publication occurs in a context where gender studies and theories progressively spread into the public domain, and even invited itself in public debates. However, according to certain scholars such as Butler, Fassin, and Scott (2007), the critical power of this concept – and by extension, the research attached to it – tends to be eluded; it has been diluted, because it was too often limited to a mention to differences between men and women. This leads to analyses that focus mainly on relations of domination, but exclude both the political dimension at the origin of the concept, the struggles of feminists and, even more importantly, the dissonance between gender (female/male) and sex (woman/man).
As such, keeping in memory the historical sense of this term appears critical, each time a new investigation occurs. It shall not be forgotten that originally, gender studies contributed to radically transform the relationships between sexes, by postulating that sex differences are a totally oriented, social construction.
This is not new. It should be recalled that the Salic law, enacted between the 4th and 6th centuries, justified in the 14th century the prohibition of women from succeeding to the throne of France. Going back even further, let us simply note that in antique Greece, sport was only for the best (Ariston), wealthy (Eleutherion), physically and morally gifted among men. As long as it has been existing, sport has thus been a distinctive practice, leading to the exclusion of some. It participates to guarantee a form of social order, voluntarily non-egalitarian in nature (Bodin & Debarbieux, 2001, p. 15).
In a more contemporary perspective, the work of Mead (1935), through the idea of sex roles, distinguished for the first time, sex and social role, sex and socially prescribed gender role, sex and sex-distinct social role. Later on, numerous famous formula will follow, setting the framework of a simultaneously objective and subjective construction aiming at role segregation, its reproduction, but also the domination of women by men, which is revealed by education within the family circle. The concept of gender will be retained by feminists in the early 1970s, in a critical perspective of the social construction of inter-sex relationships, but also modern societies and their institutions.
At this time, research such as the work of Metheny (1965) also begins to question the gendered character of certain activities: if sport remains a masculine area, would not there be a space devoted to women, that would better fit their supposed attributes, such as grace or flexibility? More than fifteen years later, while sex inequalities in sport participation tend to decrease, some observations on masculine domination and gender hierarchy remain.
That is precisely the spirit of this special issue: the bounds between body, activities, and identities are questioned and analyzed in many ways, but all articles examine through physical and sport activities, gender-related issues.
More particularly, if the first part of the special issue presents the results of work built on declarative methods, such as interviews or self-report questionnaires, the second part treats an approach aiming at capturing more automatic processes, which necessitates less direct measures, via an experimental activation, or computerized tasks. In other words, the first part of articles concerns beliefs, representations, stereotypes, norms, etc. related to gender, as they can emerge in the discourse or the explicit answers of individuals – in particular women – whereas the second part looks into influences that can operate to a certain extend outside of their awareness (i.e., implicitly).
The first two articles present the results of qualitative investigations conducted after a phase of immersion by researchers in sport structures. First, Jarthon and Durand explored the experience of women practicing fitness in organized structures, in the context of aging. Based on semi-directive interviews, they discuss how getting older can be seen as an opposite of several aspects of femininity, in particular with regard to their bodies and physical capacities. They also reveal how the participants seek, through this activity, to manage a familial physical patrimony.
Next, Cholley-Gomez and Perera were interested in female body-builders. The semi-directive interviews, which were conducted enabled to underline the identities at stake in this practice, notably in relation with the evolution of their body. This work is completed by a quantitative study indicating that female body-builders display similar levels of psychological femininity, but a superior level of masculinity, compared to non-body-builder women.
Regarding body appearance, Loegel, Courrèges, Morizot and Fontayne questioned in two studies the social representations of make-up, an attribute traditionally viewed as feminine, that female athletes sometimes report using so as to maintain their identity of women. Their research confirms the centrality of the feminine in representations of this concept, and suggests differences between men and women with this regard.
Ruchaud, Chalabaev and Fontayne emphasized that sport holds a cognitive gender asymmetry, as athletic individuals tend to be perceived as very masculine, while their level of femininity seems to depend on the type of activity practiced (sports being categorized as feminine, neutral or masculine).
Millan and Moliner precisely investigated the psychological determinants of achievement in women's soccer, which represent a counter-stereotypical activity. They observe that elite female players are characterized by higher levels of stereotypes in disfavor of women, but also stronger scores of perceived ability, which is associated with higher levels of instrumentality (a dimension of psychological gender conceived as masculine).
The second part of this special issue deals with research conducted in an automaticity approach in psychology; following this idea, it is considered that individuals hold strong associations in memory, that are likely to directly impact behaviors, in part outside of their awareness, and sometimes contrary to their intentions.
Chalabaev presents a literature review relative to the stereotype threat paradigm; in six studies relative to sport activities – socially perceived as neutral or masculine – activating a stereotype in disfavor of women was sufficient to affect their performance; the review shed light on possible explanations of this phenomenon.
Plaza and Boiché last present the results of two empirical studies conducted in this perspective, and that sought to examine the psychological determinants of behavioral persistence versus dropout. A first retrospective study indicates that teenagers who ceased their sport participation display higher levels of pro-masculine explicit stereotypes, but that they are not characterized by distinct levels of implicit stereotypes assessed with an Implicit Association Test. A second, one-year prospective study, tends to confirm those results, and informs us on the levels of stereotypes and self-perceptions hold by adolescents who participate in feminine, neutral or masculine sport activities.
Références
- Bodin, D., & Debarbieux, E. (2001). Le sport, l'exclusion, la violence. In D. Bodin (Ed.), Sports et violences (pp. 13–34). Paris : Chiron, Coll. Sport-études. [Google Scholar]
- Butler, J., Fassin, E., Wallach Scott, J. (2007). Pour ne pas en finir avec le « genre ». Table ronde. Sociétés & Représentations, 2/24, 285–306. Disponible sur http://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2007-2-page-285.htm. [Google Scholar]
- Mead, M. (1935). Sex and temperament in three primitive societies. New York: Harper Perennial, Edition 2001. [Google Scholar]
- Metheny, E. (1965). Connotations of movement in sport and dance. Dubuque, IA: Wm. C. Brown. [Google Scholar]
Citation de l'article : Boiché J & Bodin D (2017) Numéro spécial : Genre, corps et sports. Mov Sport Sci/Sci Mot, 96, 1-4
© ACAPS, EDP Sciences, 2017
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