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Editorial
Issue
Mov Sport Sci/Sci Mot
Number 98, 2017
La marche humaine : de l’analyse quantifiée à l'aide au diagnostic
Page(s) 1 - 4
DOI https://doi.org/10.1051/sm/2017028
Published online 05 February 2018

La locomotion bipédique chez l’être humain, c’est-à-dire la marche à pied, est une de ces caractéristiques essentielle qui implique une large part de sa motricité et de ses capacités d’adaptation. C’est probablement l’activité physique la plus pratiquée dans le monde et qui suscite l’intérêt d’un grand nombre de scientifiques. Déjà dans l’antiquité, des écrits attestent que la marche était un sujet de réflexion comme, par exemple, pour le philosophe grec Aristote (−384–322) ou encore les médecins grecs Hippocrate (−460–377) puis Galien (131–201). Pendant de nombreux siècles cependant, les connaissances se sont limitées à des observations et ce n’est que récemment qu’un intérêt plus systématique et scientifique a été porté à cette activité à partir de mesures instrumentées.

La capacité de marche s’acquière généralement vers l’âge d’un an et se maintient le plus souvent tout au long de la vie. Elle constitue le mode de locomotion le plus fréquemment privilégié, voire exclusivement utilisé, pour une part importante de la population. Une fois acquise, à vitesse spontanée (i.e., 3 et 6 km.h−1 chez les adultes), c’est un mode de locomotion économe en énergie et en attention. Elle n’en est pas moins une action très complexe sollicitant, à des degrés divers, la quasi-totalité des muscles du corps humain, ainsi que différentes structures corticales et sous corticales, contribuant à expliquer un apprentissage long chez l’enfant et un réapprentissage parfois difficile, voire impossible, après une lésion.

Dans les pays industrialisés, un adulte marche le plus souvent entre 4 et 10 km par jour avec bien évidemment une grande variabilité interindividuelle et de nombreux paramètres influençant ces valeurs (urbains vs. ruraux ; jeunes ou adultes vs. personnes âgées ; jours de la semaine vs. WE ; hommes vs. femmes ; professions manuelles vs. professions dites intellectuelles, etc.). Différents organismes comme l’INPES et l’OMS recommandent de maintenir une activité physique minimum de trente minutes de marche rapide par jour ou parfois de 10 000 pas pour maintenir un « bon état de santé ». En effet, la marche est associée à de nombreux bénéfices en termes de santé (Bucksch, 2005 ; Hanson et Jones, 2015). Quinze minutes de marche rapide par jour diminuent le risque de mortalité chez les ainés, toutes causes confondues, de 15 %. À l’inverse la sédentarité est reconnue comme le 4e facteur de risque de mortalité globale. Vingt à 50 % des personnes ont une activité physique inférieure à ce niveau et ce, d’autant plus, que le pays est « développé » et que l’environnement immédiat d’habitation (quartier) n’est pas favorable à cette activité de marche. Par exemple, Hajna et al. (2015), dans une méta-analyse, ont identifié une activité inférieure de 766 pas par jour pour ce seul paramètre environnemental, soit presque 8 % des recommandations précédentes.

La marche est donc étroitement liée à la santé, à l’autonomie, à la qualité de vie mais aussi à l’estime de soi. Ainsi, dès qu’elle est altérée par une pathologie, l’avancée en âge, ou tout autre facteur, elle devient un objectif prioritaire de récupération avec des efforts très importants mis en jeu et parfois le redéveloppement d’une marche peu efficiente ou inconfortable. Il apparaît donc dans le domaine du handicap que la marche constitue souvent un des objectifs prioritaires pour les patients et les thérapeutes. Pour cela, il est nécessaire de bien en comprendre les mécanismes, de la quantifier objectivement, de pouvoir modéliser les conséquences d’un entraînement ou d’une intervention. Cela peut notamment être effectué à travers une Analyse Quantifiée de la Marche (AQM) qui permet de mettre en relation de grandes quantités d’informations (voir Armand et al. dans ce numéro).

Dans ce contexte, l’objectif de ce numéro spécial sur la locomotion normale et pathologique est de renouveler le questionnement en contribuant à dépasser les analyses classiques sur l’étude de la marche normale et/ou pathologique. Ainsi, ces contributions comprennent parfois une certaine « prise de risque » des auteurs, au sens du positionnement scientifique Ce numéro regroupe des approches originales qui portent sur la marche « lancée », mais aussi sur l’initiation de la marche comme phase de transition entre deux états différents.

Cette sélection d’article débute par trois contributions portant sur la diversité motrice observable dans la locomotion. Le premier article, de Allard et al. (Université de Montréal, Canada), sous la forme d’une revue de questions, s’intéresse à trois dogmes du domaine :

– l’utilisation d’un unique « étalon » de référence, constitué d’un groupe de personnes saines, lors de l’étude de la marche pathologique, malgré l’existence de différents patterns de marche ;

– la symétrie de la marche ;

– la contribution du pied lors de la phase de poussée.

Le deuxième article, de Supiot et al. (Institut de Garches, France), dresse une revue de littérature sur la quantification et l’utilisation des synergies musculaires pour caractériser l’organisation locomotrice en absence de pathologie dans l’optique d’une meilleure prise en charge clinique des sujets cérébrolésées. Le troisième article, de Coudrat et al. (Université de Lorraine, France), porte sur les interactions entre émotion et contrôle postural lors de l’initiation d’un pas vers l’avant ou vers l’arrière.

Quatre articles portent ensuite sur des populations porteuses d’une déficience motrice (arthrose de genou, amputation de membre inférieur ou lombalgie). Le premier de cette seconde partie, de Sagawa et al. (Université de Bourgogne Franche-Comté, France) met en évidence des altérations du mouvement de levée de chaise chez des personnes atteintes de gonarthrose. Le deuxième, de da Silva Rosa et al. (Université de Rio, Brésil), réalise une revue de littérature sur les bénéfices de la marche dans l’eau chez des personnes lombalgiques. Le troisième article, de Tabard-Fougère et al. (Hopitaux Universitaires de Genève, Suisse), quantifie les effets du port de chaussures instables pour réduire les douleurs chroniques également chez des personnes lombalgiques. Le quatrième et dernier de cette seconde partie, de Sagawa et al. (Université de Bourgogne Franche-Comté, France), porte sur une approche plus systématique de la locomotion et cherche à évaluer les facteurs « performance » et « environnement » (au sens de la CIF de l’OMS) chez les personnes amputées transtibiaux unilatéral équipées d’un pied prothétique à stockage/restitution d’énergie.

Ces différents articles mettent notamment en évidence la diversité des approches et des outils de mesures utilisés dans le cadre de l’étude de la locomotion humaine. Diversité, reprise dans le huitième et dernier article d’Armand et al. (Hôpitaux Universitaires de Genève, Suisse) qui clôture ce numéro spécial par une revue critique des méthodes conventionnelles pour identifier les troubles de la marche dans le cadre clinique, et des méthodes utilisées pour améliorer la compréhension de ces derniers dans un contexte expérimental. Il propose également de nouvelles pistes d’investigation.

Un grand merci aux auteurs et aux experts pour leur investissement dans ce numéro rédigé essentiellement en langue anglaise. Il illustre bien l’étendue, la complexité et l’universalité de cette activité réalisée au quotidien, sur un mode quasi automatique et avec très peu d’effort chez les personnes en bonne santé ; alors qu’elle peut devenir extrêmement difficile dès la survenue d’une déficience ou simplement avec les effets du vieillissement. L’AQM mais aussi l’utilisation de la locomotion comme moyen de prévention et/ou de rééducation offre également des perspectives prometteuses pour de nombreuses pathologies. Dans ces domaines, les approches reposant sur davantage de pluridisciplinarité sont probablement la clé pour de nouvelles avancées significatives.

Bipedal locomotion in human, i.e., walking on our two feet, is one of the principal characteristics that largely involves both motor ability and adaptability. It is probably the most practiced physical activity in the world that arouses the interest of a large number of scientists. In the past, walking was a subject of reflection for the Greek philosopher Aristotle (−384–322) or the Greek doctors Hippocrates (−460–377) and Galen (131–201). Over the course of several centuries, knowledge has been limited to a few observations and it is only recently that more systematic and scientific interest is being brought to this activity through instrumented measurements.

The ability to walk is usually acquired at around one year old and is most often maintained throughout life. It is the most frequently used mode of locomotion, or even exclusively used, for a large part of the population. Once acquired, at a spontaneous speed (i.e., between 3 and 6 km.h−1), it becomes a low-cost in energy mode of locomotion. It is nonetheless a very complex action, soliciting, at varying degrees, almost all of the muscles of the human body, as well as different cortical and subcortical structures, helping to explain the long learning phase in childhood and an often difficult, if not impossible, re-learning after injury.

In industrialized countries, adults walk 4 to 10 km per day with a large interpersonal variability and many parameters influencing these values (urban vs. rural, child or adult vs. elderly, days of the week vs. weekend, men vs. women, manual professions vs. so-called intellectual professions, etc.).

Several organizations, such as INPES and WHO, recommended maintaining a minimum physical activity of 30 minutes of fast walking per day, or 10 000 steps, to maintain a “good state of health”. Indeed, walking is associated with many health benefits  (Bucksch, 2005; Hanson and Jones, 2015). Fifteen minutes of fast walking per day reduces the risk of mortality among seniors by 15%. Conversely, a sedentary lifestyle is recognized as the fourth risk factor for overall mortality. 20 to 50% of people have a physical activity below this level. The more ‘developed the country’, the lower the level of physical activity is. The lack of physical activity is also influenced by the immediate housing environment (district) when it is not conducive to walking (‘neighbourhood walkability’). For example, Hajna et al. (2015), in a meta-analysis, identified a lower activity of 766 steps per day for this single environmental parameter, corresponding to a decrease of 8% from the previous recommendations. Thus, walking is closely linked to health, autonomy, and quality of life but also to self-worth. Where gait is altered by pathology, age, or any other factors, it becomes a key goal in recovery, with very major efforts put into play, with sometimes the redevelopment of an inefficient or uncomfortable gait. Thus, in the field of disability, walking is often one of the priority objectives in treatment. For this reason, it is necessary to understand the gait mechanisms, to quantify it objectively, to be able to model the consequences of training or intervention. This is made possible by the use of Clinical Gait Analysis (CGA) which puts in relation a large amount of information (see Armand et al. in this issue).

In this context, the purpose of this special issue on normal and pathological gait is to renew the questioning by helping to go beyond the standard analysis on the study of normal and/or pathological gait. It brings together in a single issue several original approaches by authors who are working on locomotion: ‘walk started’, but also the initiation of it, which necessarily begins by a first step that is often made in the continuity of a transition with the previous position (classically leaving the sitting position). Thus, these articles sometimes include some ‘risk-taking’ by authors, in terms of scientific positioning.

This article selection begins by three contributions essentially on healthy persons that highlight the motor diversity of human locomotion. The first article, by Allard et al. (University of Montreal, Canada), in the form of a questions’ review, focuses on three dogmas in the field of:

– the use of a single reference ‘standard’, composed of only one group of healthy persons, during the study of pathological gait, despite the existence of different gait patterns;

– the symmetry of walking;

– the contribution of the foot during the push phase.

The second article, by Supiot et al. (Institute of Garches, France), provides literature reviews on the quantification and use of muscle synergies to characterize the locomotor organization of healthy and brain damaged persons in the perspective of a transfer to the clinical management of persons with brain damage. The third article, by Coudrat et al. (University of Lorraine, France), deals with the interactions between emotion and postural control during the initiation of a forward or backward step.

In a second part, four articles focus on populations with a motor impairment (knee osteoarthritis, lower limb amputation or low back pain). The first of this second part, by Sagawa et al. (University of Bourgogne Franche-Comté, France) highlights alterations of the getting up from a chair movement in persons with knee osteoarthritis. The second, by da Silva Rosa et al. (University of Rio, Brazil), conducts a literature review on the benefits of walking in water in the low back pain persons. The third article, by Tabard-Fougère et al. (Geneva University Hospital, Switzerland), quantifies the effects of wearing unstable shoes to reduce chronic pain in persons with low back pain. The fourth and final article of this second part, by Sagawa et al. (University of Bourgogne Franche-Comté, France), focuses on a more systematic approach to locomotion and seeks to evaluate the factors ‘performance’ and ‘environment’ (in the sense of WHO ICF) in unilateral transtibial amputees equipped with a prosthetic foot for storage/energy release.

These articles highlight the diversity of approaches and measurement tools used in the field of study on human locomotion. Diversity that is summarized in the eighth and final article by Armand et al. (Geneva University Hospitals, Switzerland) which closes this special issue with a critical review of conventional methods for identifying gait disorders in the clinical setting, and methods used to improve their understanding in an experimental context. It also proposes new fields of investigation.

Many thanks to all authors and experts for their investment in this issue, written mainly in English. It illustrates the extent, the complexity and the universality of this activity carried out daily, in an almost automatic mode and with very little effort for healthy persons; while it can become extremely difficult with the onset of a disability or simply with the effects of the ageing process. CGA, but also the use of locomotion as a means of prevention and/or rehabilitation, also offers promising prospects for many pathologies. In this area, multidisciplinary approaches are probably the key to further significant progress.

Références

  • Bucksch, J. (2005). Physical activity of moderate intensity in leisure time and the risk of all cause mortality. British Journal of Sports Medicine, 39(9), 632–638. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  • Hajna, S., Ross, N.A., Brazeau, A.S., Bélisle, P., Joseph, L., Dasgupta, K. (2015). Associations between neighbourhood walkability and daily steps in adults: a systematic review and meta-analysis. BMC Public Health, 11(15), 768. [CrossRef] [Google Scholar]
  • Hanson, S., Jones, A. (2015). Is there evidence that walking groups have health benefits? A systematic review and meta-analysis. British Journal of Sports Medicine, 49(11), 710–715. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

Citation de l’article : Watelain E (2017) La marche humaine : de l’analyse quantifiée à l’aide au diagnostic. Mov Sport Sci/Sci Mot, 98, 1–4


© ACAPS, EDP Sciences, 2017

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